J'écris mes propres hymnes
car qui chante les miens ?

autour, les gens braillent plus et bandent

moins

exister, attention !
mais sans s'exciter
sans pitance, ni passion ni pitié

moi qui compte, entends-tu ?
moi qui sais, moi qui saigne plus que toi
que ta mère
que ta ville
que chaque roi

regarde ce que je suis, comme tout y est lisse !
ça coule ça pisse ça sort par la bouche
ça glisse de mes bras
j'en salope ta cuisine
et entre deux plaques
ma souffrance niaise et niée, chaude comme une épice

fais-moi faible et rejoins-moi geindre
adieux aux chars, aux drakkars, aux forteresses
car quel est ce courage que tous chassent ?
pourquoi tant de battues ? pourquoi tant de vertus ?

tiens ! attrape plutôt, voici mes chaînes !
je te les prête à foison
tu verras, petit gars :
on est bien, à tremper dans sa peine
on est bien, là

en prison

moi, j'aime croupir
et des tonnes de pleurs pour que l'on m'entende, que l'on me tende alors
une main moite que je pourrais mordre et tordre
repousser très fort en avant
j'ai le plaisir du désespoir et la complainte facile
tu t'y casseras le coeur, tu t'y briseras deux dents

non ! pas la lumière !
laissez-la, laissez-moi !
je ne veux pas vivre, ne voyez-vous pas ?
gémir, c'est mieux
mourir si je peux !
et si je peux... !

à petit feu

oui, c'est cela !
cuisez-moi dans ma graisse, que ma glaise ressorte geôle
n'en restera que cendres, grises de mon souhait

tout du long ma non-rage
mais pour vous, ô damnés de la bravoure !
trop de millions de croisades
allons ! médisez donc, détestez-moi
j'ai si souvent cessé la lutte
embrassé chaque fuite
tué tous mes buts

aimons-nous bien bon, entre pantins pantois
blâmons les autres, levons haut nos mains jointes et proprement nous morfondre
car du règne, chers frères, alors quoi en faire ?
batailler comme les bien-actants ?
les finalement triomphants ?
ils n'auront rien de nous, ni mémoire ni combat
à rester pour toujours ces mêmes qui chantent, crient en choeur et en vain :"J'écris mes propres hymnes car qui chante les miens ?".