Liv me dit :"Max est au ciel et le ciel est partout."
On a bu quelques verres, puis le bar a fermé.
Oui, désolés mais voilà, c'est dimanche, vous comprenez.
Je paye l'addition, Liv tente de survivre.
En attendant la drogue, on s'assoit sur le trottoir d'en face, dans le creux d'une impasse. Au-dessus de nos têtes, les immeubles grands, habités, éclairés.
Liv parle pleure, trop pour couper.
Je prépare ses traces sur mon téléphone et elle les prends toutes, sans discuter.
Autour de nous, Paris fait sa nuit et celle-ci ressemble à toutes les autres.
Il y a dix jours, Max s'est pendu entre deux couchers de soleil. Il est mort seul, comme tous les morts, et il souffrait seul, comme tous les vivants.
Dans le tas de nous tous, il y a ceux qui partent et ceux qui restent.
Ce soir-là, Liv a hésité à partir, elle aussi. Et moi, quelque part entre les deux, à lui prêter mon temps et mon oreille, à récolter ses pleurs et ses secrets, nos nez dans la blanche et le bas de nos corps sur le bitume, je me sentais comme ces grottes où l'on hurle ou ces arbres qu'on enlace.
"Je te le dis à toi, Mave, et à toi seule, parce que je sais que tu vas comprendre. Je sais que tu peux écouter, je sais que tu n'auras pas peur. Les autres, je les aime, évidement que je les aime, très fort, mais ils ont peur. Et moi, j'ai besoin de parler de ça, j'ai besoin de dire que je ne sais plus ce que je fais là, que je lui en veux, à Max, et que j'ai envie de le rejoindre. Je ne vais pas le faire ! Enfin, je ne crois pas mais j'en envie. Tellement envie et c'est injuste."
Elle me raconte tout ou presque.
Elle me raconte beaucoup.
Je réponds.
Puis je ne réponds pas.
La drogue et ses mots cadencent les heures, nous ont conduit au jour prochain, à tous les jours qui nous attendent encore et qu'il faudra apprendre à aimer un peu, le temps d'en voir quelques-uns de plus.
Si peu de jours...
Alors on s'est enfermées là, dans l'été et notre ville, dans la douleur de Liv et le départ de Max, dans nos peaux froides moins que la sienne, glacée et bientôt sous terre.
On s'est lovées dans nos poisons puérils, nos fatigues trop grandes, nos souffrances éternelles dont les adultes béats bêtas disent toujours :"Ca va aller, ça passera, tu verras.".
Et qui ne passent pas.
On s'est réfugiées comme ça, le chagrin de Liv contre mes bras de géant fragile. Plus d'une fois, ses larmes ont appelé mes doigts, transformés en bateaux de fortune sur tempête triste.
Je regarde sa main, sans cesse prête à saisir la mienne, ancre forte ou trop légère ; mais bien là pour elle, pour ses épaules écrasées, pour tous ces poids proches de plier.
Quand tout est devenu bleu sur Bastille, lundi avait déjà commencé. On aurait pu rester ainsi, oublier tous les "on doit" et le bel avenir dont les gens parlent, continuer à frotter nos blessures et fuir les combats, perdus trop peu gagnés.
Mais Liv m'a dit en essuyant son nez :"C'est bon. C'est bon maintenant, vraiment, on peut rentrer.". Alors on est rentrées, le dos cassé et le cul devenu plat, retrouver ce monde grouillant autour et qu'on devait affronter.
On s'est séparées sans effusion, un peu noyées, chacun son taxi et rentre bien, appelle-moi, on se revoit vite, je t'aime, ouais, je t'aime moi aussi. Le retour sur fond de jazz, un message au boulot, prévenir qu'on bossera du canapé et que c'est comme ça.
Dormir une heure, même si la tête ne veut pas, relancer le fade du quotidien et tout ce qu'on y traîne. Mélodie des rouages, plus machines au fond que nous-mêmes.
Maxime s'est tué en juillet.
Nous, jusqu'à ce que
on reste là.
[Dimanche 24 juillet 2022]
Nous, jusqu'à ce que
on reste là.
[Dimanche 24 juillet 2022]