MAX-VIL

Mardi 16 avril 2024 à 2:18

 
[Dimanche 24 juillet 2022]

Liv m'a dit "Max est au ciel et le ciel est partout."
Elle portait son tee-shirt des Stones, vus en concert la veille au soir. Cadeau de son père ou cadeau venu d'en haut. Qui sait ? Peut-être ?

On a bu jusqu'à ce que le bar ferme. J'ai payé l'addition, commandé de la coke et on et on s'est assises sur un trottoir au milieu d'une impasse. Liv parlait-pleurait, je préparais ses traces sur mon téléphone. Autour de nous, Paris faisait ses nuits et celle-ci ressemblait à toutes les autres.

Dix jours plus tôt, entre deux couchers de soleil, Maxime, son Maxime s'était pendu. Il est mort seul, comme tous les morts, et il souffrait seul, comme tous les vivants.
Il y a ceux qui partent et ceux qui restent. Ce soir-là, Liv hésitait à partir, elle aussi. Et moi, quelque part entre les deux, à lui prêter mon temps et mon oreille, nos nez dans la blanche et nos corps sur le bitume, je me sentais comme ces grottes où l'on hurle, comme ces arbres qu'on enlace, à récolter ses pleurs et ses secrets.

"Je te le dis à toi, Mave, et à toi seule, parce que je sais que tu vas comprendre. Je sais que tu peux écouter, je sais que tu n'auras pas peur. Les autres, je les aime, évidement que je les aime, très fort, mais ils ont peur. Et moi, j'ai besoin de parler de ça, j'ai besoin de dire que je ne sais plus ce que je fais là, que je lui en veux, à Max, et que j'ai envie de le rejoindre. Je ne vais pas le faire ! Enfin, je ne crois pas mais j'en envie. Tellement envie et c'est injuste."

Elle me raconte tout ou presque, elle me raconte beaucoup. Je réponds, presque pas. La drogue et ses mots cadencent les heures, nous conduisent au jour prochain, à tous les jours qui nous attendent encore et qu'il faudra apprendre à aimer un peu, le temps d'en voir quelques-uns de plus.

Si peu de jours, au fond.

Alors on s'est enfermées là, dans l'été et notre ville, dans la douleur de Liv et le départ de Max, dans nos peaux froides moins que la sienne, glacée et bientôt sous terre, dans nos poisons puérils, nos fatigues trop grandes, nos souffrances éternelles dont les adultes et les béats disent toujours :" Ca va aller, ça passera, tu verras." et qui ne passent pas.
On s'est réfugiées comme ça, le chagrin de Liv contre mes bras de géant fragile. Plus d'une fois, ses larmes ont appelé mes doigts, transformés en bateaux sur une tempête triste. Et sa main sans cesse prête à saisir la mienne, ancre forte ou trop légère, sans doute ; mais bien là pour elle, pour ses épaules écrasées, pour tous ces poids proches de la faire ployer.

Quand tout est devenu bleu sur Bastille, lundi avait déjà commencé. On aurait pu rester ainsi, oublier tous les "on doit" et le bel avenir dont les gens parlent, continuer à frotter nos blessures et à fuir les combats, perdus puis gagnés puis perdus. Comme nous.

Mais Liv m'a dit en essuyant son nez :"C'est bon. C'est bon maintenant, on peut rentrer.". Alors on est rentrées, le dos cassé et le cul rendu plat, retrouver ce monde grouillant autour et qu'il nous fallait affronter.
On s'est séparées sans effusion, un peu noyées, chacun son taxi et rentre bien, appelle-moi, on se revoit vite, je t'aime, je t'aime moi aussi. Le retour sur fond de jazz, un message au boulot, prévenir qu'on bossera du canapé et c'est comme ça. Dormir une heure, même si la tête ne veut pas, relancer le fade du quotidien et tout ce qu'on y traîne. Mélodie des rouages, plus machines au fond que nous-mêmes.

Maxime s'est tué en juillet.
Nous, jusqu'à ce que, on reste là.

Pas d'autographes, merci

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