Le Loup de février

Samedi 16 mars 2024 à 22:43

Je ne dors pas avec toi pendant 5 minutes.

Il me l'a répété deux fois, croyant que mes yeux avaient fait pause. Cinquième film d'horreur de la soirée.
Il me le répète, mais non.
Rare que je m'accorde un peu.
Mais à mes côtés seulement, Loup s'autorise. Il me parle, parfois non et parfois plus. Il s'allonge, retire ses lunettes et s'endort sur l'instant. Toujours trouvé ça fascinant, cette facilité à tomber d'un coup. La chute est soudaine ; l'abandon, brutal. Epuisé ou détendu, je ne sais jamais. Et je ne demande pas.
Il se repose, pas moi.

C'est bien comme ça.

De l'autre bout de l'oreiller vert velours, je le regarde. Lui, ses paupières comme des oiseaux posés et sa respiration de plomb tournés vers moi.

Je ne dors pas avec toi pendant 5 minutes. Après, je vais fumer une clope.

Une façon de se rassurer, sans doute.
Ou l'alcool a fait son boulot.

A une époque, Loup enchaînait deux bouteilles de Jack et vingt cachets de Xanax.
Mon choc ? qu'il puisse un aussi mauvais whisky.

Je l'observe dans un silence fraternel, sans admiration ni tendresse. On ne se comprend pas vraiment mais on se comprend plus que trop de gens. Dans sa tête aussi, c'est un grand feu, un géant flou. Comme chez moi, ça finit en sang. Comme chez moi, tout brûle partout.
On ne s'aide pas, on ne s'aime pas, on s'écoute à peine. Mais on se tait et on reste, soucieux de ce petit espace qui le protège de moi et me protège de lui.
Entre nous, deux rives ou deux rails mais qu'on ne se rejoigne pas. On s'en tient là, chacun de son côté du monde, si fiers, bien froids.

Un jour, Loup a saisi mes doigts, les siens s'y sont glissés.
Ce n'est pas dans nos rituels, tu vois.

Nous, on ne fait pas ça.

Pourtant, je n'ai pas parlé.

Et j'ai serré.

On est restés dans le canapé, longtemps.
Je n'ai pas compté.

Puis mon rire bref, droit devant.

Loup a demandé : "Quoi ?", comme si ça comptait.
J'ai répondu vers le plafond : "Rien. On est tellement foutus."

Et Loup savait.

Sa main se repose, maintenant.
La même, toujours sur la mienne.
Sa paume tapisse mon poignet droit. Parce que Loup m'enlace toujours quand il ne le sait pas. Je ne connais rien de ces rêves en réclame mais je lui laisse.
Et je donne le droit.

Il se plaint de mes seins, ronds et imposants sous sa tête, avion atterri. Sans même se demander ce qu'il foutait là, dans mes bras.
Syliam me dit souvent qu'elle le trouve bien avec moi.
"Bien".
Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je vais mal, sans doute. Mais si c'est là qu'il trouve ce "bien", dans tout moi, je n'empêche pas.

On se rejoint souvent ainsi, avant l'aube qui pépie. Nos deux torses se font face, au-dessus de notre grand creux. Lui fatigue et chaque fois, je guette, éclaireur averti : son sommeil est en chemin, il ne tardera pas.
Une cérémonie de bêtes blessées, de frères féroces. On mène nos guerres dans nos propres contrées. Au fond, le film aboie et on n'écoute plus, on ne le finira pas, on le verra d'autres chois, à demi dans le bleu noir d'autres nuits.

On ne se regarde pas, on se sait là, loin de nous comme on est loin de tout. 

Puis les pas du lendemain, qui remet nos choses où il faut. La fenêtre est refermée.
 On se redresse, on se sépare et on reprend. Syliam revient dans le salon, on redevient trois. Je me lève pour elle, Loup baille, s'étire, se plaint de son dos et sort. Fumer.

Soudain, c'est doux de nouveau.

Loup et moi, on se dit au revoir sans se le dire, dans le chaud du café.
Je ne sais pas quand, je ne sais pas jusqu'à quand.
On sait juste qu'on gardera le gouffre au même endroit.

En attendant.
 

Pas d'autographes, merci

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