Il est libre, Max

Samedi 13 juillet 2024 à 23:18

En juillet en 2022
tu as passé autour de ton cou
le cuir de cette petite ceinture
celle serrée plus bas
juste en-dessous

J'espère qu'elle t'a hissé haut, que tu as volé bien

J'espère, parce que je ne t'ai pas vu
J'espère, mais je ne t'ai pas connu
et depuis deux étés
je ne te connaîtrai plus

Liv est grande, tu sais
Tout ce qu'elle a à vivre, elle vit
elle pleure mais rien ne plie
bon, elle tiendra
tu le savais
déjà

Mais chaque fois qu'elle se relève, quelque chose craque et quelque chose fêle

Crois-moi, elle n'est pas faible
crois-moi, elle n'est pas frêle
et des claques, elle en encaisse
mais la dernière, elle tue toujours et en te tuant toi
tu l'as mordue bien fort dedans
tu avais faim, Max
tu l'as mordue très loin

Tu ne voulais pas être seul, c'est ça ?
le monde autour, c'était trop cru, c'était trop crade
tu t'y es accroché si rude, tu as tenu ferme jusqu'à bout de forces
puis fourbu
jusqu'à bout de corde

Je pense à tes bras, guerriers jamais guéris
ceux qui ne pouvaient plus étreindre et tes grands yeux sombrés
si près de s'éteindre
trop de vide alors tu t'y es suspendu, tu t'es balancé
un jouet foutu, jeté

et qui se fout en l'air

Santé, Max ! et sans toi

On y arrivera, à tenter d'être des hommes
nous, les "qui durent" et les "qui restent"
côté ciel, on te fera signe
la tête fière
cent comme un et tous pour un

Sers les bières, prépare le bar
parce qu'on arrive, promis !
on n'est jamais loin
en attendant, on va faire les vivants
protéger nos coeurs et serrer les poings
crier qui l'on est
crier qui tu étais


Remplis les verres, guette-nous des remparts
parce qu'on arrive, promis !
on te rejoint
très bientôt mais au plus tard
toi qui buvais avec nous
soûle-toi pour nous
c'est dur, ici, mais on tiendra loin

Santé, Max !
pars plus libre et pars devant
on t'aime comme ça, on t'aime "pas là"
compte sur nous
maintenant et pour mille ans

Adieu, Max
pour toutes nuits et pour toujours
sans rancune, l'ami
on ne t'en veut pas
mais on reste en bas, promis
pour toutes nos gloires, pour toutes nos gagnes
pour les coups au ventre et laissé là, pour ce grand creux
pour cette vie où tu ne vivras jamais vieux

Bonne nuit, faux frère
prends soin de ceux qui sont déjà partis
une tombe et quelques pierres
ton pire est fait, c'est la fin
une dernière fois, ferme les yeux
sois soulagé
repose-toi bien

Ugo, ou le presque adieu

Vendredi 12 juillet 2024 à 16:31


- "Je ne comprends pas pourquoi tu dis que tu m'aimes si tu trouves que je suis quelqu'un de si horrible, Ugo."
- "Je n'en sais rien ! Je ne sais pas, d'accord ?! La seule chose que je sais, c'est que ma vie est mieux avec toi que sans toi."


Les gens sont d'étranges manèges. Assis aux côté de leurs vies, j'ai appris à observer sans comprendre leurs chevaux de bois ou de batailles tourner sans fin. J'y pige peu, moi qui suis mon propre spectacle, ma petite foire aux monstres. Peu dressés, affamés mais bien attachés. Leur nature est simple, sans brume. Ils hurlent à la lune, mordent et mangent.
Mais ces humains bien trop comme moi, au coeur si faible et à la raison si molle... Ces créatures-là, moi non plus, je ne sais pas.

Ugo me fait face. Dos aux fenêtres et à la nuit, il fume, la main nerveuse. Trois soirs en neuf mois qu'il m'explique, entre leçon de mes deux et reproches poussiéreux, tout ce qui le dérange chez moi. Dans ce que je fais, dans ce que je suis ou pas. Et en effet, moi, je ne le suis pas. Je prends ce flot en plein corps et en silence. J'écoute, j'encaisse. Je suis doué à ça, me suis façonné à ce truc-là. Et je peux prendre, beaucoup, beaucoup de coups. 
Mais pourtant, vraiment, du plus profond de moi, je ne le suis pas.

Dans ce discours sans sens, ce sont ses yeux qui m'égarent le plus. Deux épées brillantes de menaces, de rancoeur jusque-là inconnue. 
Chaque parole que je tente fait enfler sa rage. Sa voixses mots portent davantage. Voilà qu'il crie presque, me toise dans un dédain prétentieux. Il n'a pas tant changé depuis l'enfance, ce gamin malheureux. En ce temps-là, 17 ans et des épines mais ce "nous", comme un pont au-dessus d'une trop large rivière, ce "nous" échappait aux combats. Parce que c'était toi avec moi, tes bras et mes bras. "Petite soeur", tu répétais. Pas du même coin, pas du même sang, pourtant. Ce sang que je goûte, maintenant.


Tu as toujours été en colère. Contre lui, contre vous, contre tout. Et ce 30 juin, de nouveau mais pour la première fois, contre moi. C'est donc ça, ton nouveau duel. Tes balles ont juste viré de bord. Jamais je n'aurais cru être à l'autre bout, devenir cible à abattre. Morte ou vive, ce qu'on lit sur une prime. J'espère qu'elle te rapportera par dix ce que ta croisade nous enlève.

Je t'ai laissé me détester, donc, ta bouche tirer à bout portant, cracher tes "je t'aime, je t'aime" en stupides boucliers. J'admets, tu n'es pas mauvais soldat. Mais tu tranches au hasard, crocs dehors, torse baissé. Tu m'amuses presque, petit, à me croire faible sur ton terrain. Mène-la donc, ta vendetta. Cette tempête n'est pas ma dernière : vois-tu, je me survis chaque heure et des fins du monde, tant m'attendent, juste derrière toi.
Malgré tout, je m'interroge. Raconte-moi : c'est ça que cela donne, 20 ans d'amitié ? Des prises aux poings, de la joie feinte et des confidences déchiquetées ? 

Pars vite et reviens tard

Dimanche 7 juillet 2024 à 1:37


En ton absence, mes travers redeviennent célibataires.
Je fume et bois trop, bien sûr, parce que ma bouche est immense et qu'elle s'ennuie de tout et de toi. L'appartement se macule de ma flemme, des restes trop vite mâchés de ces jours qui glissent en huile vaine. La table basse se peuple d'affaires abandonnées, à la fois vestiges et champs de bagarre.

Ici, une sacoche à la bouche béante.
Là, un chapeau que je n'ai pas porté.
Mon temps passe dans le salon.
La cuisine déborde, je dors dans le canapé.

Heureux et esseulé, je récupère mes droits sur l'endroit.

Juillet est arrivé sans tes rires et tes cheveux de sirène sur mon oreiller moite. Dans le lit, les cauchemars précipitent mes réveils brusques, en piquètent le tissu lourd de mes nuits courtes. Tout pue l'été et Paris reste plein. Je voudrais lui serrer la ceinture autour de son ventre rond, à ma ville-mannequin, qui m'évide par petits bouts juteux, comme la chair d'un fruit frais.

La chanson dit : " Autant s'aimer.", alors je me sème chez nous, je plante un peu partout ; à mes façons sans manière, pour que tu me retrouves plus vite, que tu me restes dans le coeur et droit dans les yeux. Ton visage devient flou et flotte au large. Tu n'es pas si loin. Ton départ me laisse des trous à ne pas combler. Je pars, s'il te plaît, attends-moi. J'aime cet étrange gouffre après l'au revoir, cette absence du "nous" et ce retour au soi.

Puis, la veille arrive et tout doit revenir ce cocon gracile aux grands bras, pièces propres et vêtements envolés. Je laisse place au beau, à cette vie qui revit avec tes pas. 

Tu m'attendras ? Tu m'attendras, je reviens.

Vivement demain.

Ode, non

Mardi 21 mai 2024 à 16:41

J'écris mes propres hymnes
car qui chante les miens ?

autour, les gens braillent plus et bandent

moins

exister, attention !
mais sans s'exciter
sans pitance, ni passion ni pitié

moi qui compte, entends-tu ?
moi qui sais, moi qui saigne plus que toi
que ta mère
que ta ville
que chaque roi

regarde ce que je suis, comme tout y est lisse !
ça coule ça pisse ça sort par la bouche
ça glisse de mes bras
j'en salope ta cuisine
et entre deux plaques
ma souffrance niaise et niée, chaude comme une épice

fais-moi faible et rejoins-moi geindre
adieux aux chars, aux drakkars, aux forteresses
car quel est ce courage que tous chassent ?
pourquoi tant de battues ? pourquoi tant de vertus ?

tiens ! attrape plutôt, voici mes chaînes !
je te les prête à foison
tu verras, petit gars :
on est bien, à tremper dans sa peine
on est bien, là

en prison

moi, j'aime croupir
et des tonnes de pleurs pour que l'on m'entende, que l'on me tende alors
une main moite que je pourrais mordre et tordre
repousser très fort en avant
j'ai le plaisir du désespoir et la complainte facile
tu t'y casseras le coeur, tu t'y briseras deux dents

non ! pas la lumière !
laissez-la, laissez-moi !
je ne veux pas vivre, ne voyez-vous pas ?
gémir, c'est mieux
mourir si je peux !
et si je peux... !

à petit feu

oui, c'est cela !
cuisez-moi dans ma graisse, que ma glaise ressorte geôle
n'en restera que cendres, grises de mon souhait

tout du long ma non-rage
mais pour vous, ô damnés de la bravoure !
trop de millions de croisades
allons ! médisez donc, détestez-moi
j'ai si souvent cessé la lutte
embrassé chaque fuite
tué tous mes buts

aimons-nous bien bon, entre pantins pantois
blâmons les autres, levons haut nos mains jointes et proprement nous morfondre
car du règne, chers frères, alors quoi en faire ?
batailler comme les bien-actants ?
les finalement triomphants ?
ils n'auront rien de nous, ni mémoire ni combat
à rester pour toujours ces mêmes qui chantent, crient en choeur et en vain :"J'écris mes propres hymnes car qui chante les miens ?".

Cure éternelle

Jeudi 16 mai 2024 à 14:55

Ça va.


Ça va et c'est l'étrange.
A écrire, à vivre, à articuler, à accepter.

Ça va et je ne sais pas.
Tout comme je ne sais pas quand ça ne va pas.

Est-ce que les gens se demandent ça ? se demandent pourquoi ?
Ou suis-je seul, là encore, là toujours, à m'interroger de tout ?

Dans quelques mois, 35 ans. Toutes ces secondes mortes qui poussent fort et sans fin, vers la fin.
Ce spectre d'âge marche grand dans mes ombres, sur ce parquet blanc de soleil ou dans les recoins froids de ma tête. Un puzzle mal foutu, labyrinthe jardin ; une foire abandonnée.
J'y suis invité-prisonnier, roi et esclave, à apprendre l'art de me rassembler ; être juge non despote, horizon idéal.

Survivre, est-ce là ma fierté ? Honneur sans médaille, tant de freins pour tant de failles.

Tu le sais mieux, après tout : être toi est cher payé.

Mais tu le sais mieux, avant tout : être toi, c'est souffrir libre.


Corsica

Mardi 16 avril 2024 à 21:13

Assis sur la plage, tout de noir dedans dehors, je suis des yeux la mer et le ciel, leur ballet pâle sous mon regard lassé. J'observe les ruées et ne pense qu'aux miennes, ravageuses et pur chaos, qui me mouillent du coeur aux chevilles et me laissent navire en dérive, épave éparse.
Déjà, les poissons serpentent entre mes entrailles. De partout, des algues poussent soudain, mon bois gonfle et verdit. Peu à peu, je deviens sous-marine, caillou coulé. Et au fond de mes abysses, je m'enlise, et au plus fort de mes abîmes, je moisis.

Ca y est, c'est la fin, c'est le fond.

M'entendez-vous hurler ? Quelqu'un, quelque part dans tous recoins de ma tête ou de ce monde infâme, percevez-vous mes cris, douleur et rage ? ceux que je tais de mon mieux au flou des nuits blanches, au gré de mes monstres avides que j'avine toujours plus, toujours pleins.
Sous le soleil corse, mes cicatrices virent au clair, strient ma peau brune comme des herbes folles. Le sel et la chaleur me ramènent à des images d'enfant, à ces heures tendres et fraîches où la mort et moi n'étions qu'inconnus, jusqu'à ce qu'elle me prenne en affection, me voit amant et se blottisse sous mes rames, dans mes reins.
Je les porte en moi, elle et ses poisons lourds, une amie létale, latente. Je m'épuise dans ce rôle dur qui pèse sur mes os et brise mes côtes. Mais tout tombeau que je suis, je ne serai pas Rome : je me noircis et m'enfume mais ce brasier ne me fera pas cendre en un jour, pas cendre un jour. Qu'il me dévore à son gré, j'érigerai sur mes ruines, entre feu et fange. Me croire fort ne suffira pas mais cela suffira.

Il nous faut du temps, chère armée ; celui de combattre et de bâtir, puis de reconquérir. Se tuer à la tâche, attendre les jours et tenter de vivre, pieds au sol et armures en main, jusqu'à la délivrance de l'ultime vague.

[ __août 2021__ ]

MAX-VIL

Mardi 16 avril 2024 à 2:18


Liv me dit :"Max est au ciel et le ciel est partout."
Elle porte son tee-shirt des Stones, vus en concert la veille, entre douleur, paternel et "White Horses".

On a bu quelques verres, puis le bar a fermé.
Oui, désolés mais voilà, c'est dimanche, vous comprenez.

Je paye l'addition, Liv tente de survivre.

En attendant la drogue, on s'assoit sur le trottoir d'en face, dans le creux d'une impasse. Au-dessus de nos têtes, les immeubles grands, habités, éclairés.

Liv parle pleure, trop pour couper.
Je prépare ses traces sur mon téléphone et elle les prends toutes, sans discuter.
Autour de nous, Paris fait sa nuit et celle-ci ressemble à toutes les autres.

Il y a dix jours, Max s'est pendu entre deux couchers de soleil. Il est mort seul, comme tous les morts, et il souffrait seul, comme tous les vivants.
Dans le tas de nous tous, il y a ceux qui partent et ceux qui restent.
Ce soir-là, Liv a hésité à partir, elle aussi. Et moi, quelque part entre les deux, à lui prêter mon temps et mon oreille, 
à récolter ses pleurs et ses secrets, nos nez dans la blanche et le bas de nos corps sur le bitume, je me sentais comme ces grottes où l'on hurle ou ces arbres qu'on enlace.

"Je te le dis à toi, Mave, et à toi seule, parce que je sais que tu vas comprendre. Je sais que tu peux écouter, je sais que tu n'auras pas peur. Les autres, je les aime, évidement que je les aime, très fort, mais ils ont peur. Et moi, j'ai besoin de parler de ça, j'ai besoin de dire que je ne sais plus ce que je fais là, que je lui en veux, à Max, et que j'ai envie de le rejoindre. Je ne vais pas le faire ! Enfin, je ne crois pas mais j'en envie. Tellement envie et c'est injuste."

Elle me raconte tout ou presque.
Elle me raconte beaucoup.
Je réponds.
Puis je ne réponds pas.

La drogue et ses mots cadencent les heures, nous ont conduit au jour prochain, à tous les jours qui nous attendent encore et qu'il faudra apprendre à aimer un peu, le temps d'en voir quelques-uns de plus.
Si peu de jours...

Alors on s'est enfermées là, dans l'été et notre ville, dans la douleur de Liv et le départ de Max, dans nos peaux froides moins que la sienne, glacée et bientôt sous terre.
On s'est lovées dans nos poisons puérils, nos fatigues trop grandes, nos souffrances éternelles dont les adultes béats bêtas disent toujours :"Ca va aller, ça passera, tu verras.".

Et qui ne passent pas.

On s'est réfugiées comme ça, le chagrin de Liv contre mes bras de géant fragile. Plus d'une fois, ses larmes ont appelé mes doigts, transformés en bateaux de fortune sur tempête triste.
Je regarde sa main, sans cesse prête à saisir la mienne, ancre forte ou trop légère ; mais bien là pour elle, pour ses épaules écrasées, pour tous ces poids proches de plier.

Quand tout est devenu bleu sur Bastille, lundi avait déjà commencé. On aurait pu rester ainsi, oublier tous les "on doit" et le bel avenir dont les gens parlent, continuer à frotter nos blessures et fuir les combats, perdus trop peu gagnés.

Mais Liv m'a dit en essuyant son nez :"C'est bon. C'est bon maintenant, vraiment, on peut rentrer.". Alors on est rentrées, le dos cassé et le cul devenu plat, retrouver ce monde grouillant autour et qu'on devait affronter.
On s'est séparées sans effusion, un peu noyées, chacun son taxi et rentre bien, appelle-moi, on se revoit vite, je t'aime, ouais, je t'aime moi aussi. Le retour sur fond de jazz, un message au boulot, prévenir qu'on bossera du canapé et que c'est comme ça.

Dormir une heure, même si la tête ne veut pas, relancer le fade du quotidien et tout ce qu'on y traîne. Mélodie des rouages, plus machines au fond que nous-mêmes.

Maxime s'est tué en juillet.
Nous, jusqu'à ce que
on reste là.


[Dimanche 24 juillet 2022]

Sick Spring

Mercredi 10 avril 2024 à 19:28

Et je reste là.
Avec mes clopes, mes médocs, mes verres et mes diagnos.
tic
... tac ?

Tout ça fait boom ! trash et dru, me rend plein d'eau, me prend plein de vie.

Les amis se font rares et geignards, m'assaillent de problèmes débiles-bénins que j'écoute sans compassion ni passion. Leur monde peut bien se faire braiser et eux mal se lamenter. Avant les gens, MON déluge et qu'ils s'envolent vite, vers quoi ? je ne sais pas mais pas vers moi.
Peu m'importe, peu me portent et bon-vent-cassez-vous-merci à tous ceux qui sortent.
Priez pour que je vous repousse parce que je ne partirai pas.

Sous le soleil de ce putain de printemps, les autres se pressent et éclosent. Sauvages virus à pied et deux mains, amas de peaux grasses qui se répandent ; ça sue et gesticule.

Je me tiens au loin, je me tiens debout et tout me tire vers l'avant.
Je me retrouve alors, soulagé tout entier malgré mon corps qui enfle, fend et se flingue. Il lâche en solitaire et je voudrais lui lâcher les chiens.
Mais je laisse faire : aucun droit sur ses droits alors qu'il tombe, tombe, tombe !

Six pieds en l'air.
Pas besoin de creuser.

Je l'ai bousillé assez, je sais. Mais j'étais en haut, tu sais ? je réparais les trous et ma tête. Qui ne tient qu'à un fil et n'en fait qu'à la sienne.

On est durs bosseurs, au fond ; ouvriers brusques qui besognent chacun à ne pas craquer et on vise les failles, voyez-vous ? pour les défissurer.
On y arrivera, on est si proches, si prêts, soudain, de ne plus penser à la fin.

Enfin !

N'abandonnez pas, ni maintenant ni jamais.
Vous êtes à moi, vous le savez et je vous bien ai en main.

Comprenez, résistez ! qu'on n'ait pas vécu jusque-là pour les chiants, qu'on n'ait pas vécu jusque-là pour crever là, qu'on n'ait pas vécu jusque-là pour rien, qu'on n'ait pas survécu jusque-là pour ne pas voir demain.


Spring Spleen

Lundi 8 avril 2024 à 14:56

Et juste comme ça, au-dessus de ma tête, le printemps avait débarqué. Les arbres refournis bouclaient comme mes cheveux lourds, l'insupportable bleu chassait précipitamment le gris.
Les nuits bercées de vent et d'eau de la veille seraient désormais peuplées de bruits, de cris, de corps mouvants, dansants, buvants. Les rues suivraient le même chemin, le même refrain. Parce que tout recommence toujours.

Rien à y faire, si ce n'est attendre et glisser vers la suite, pas à pas, mois par mois. Une longue route où mes pieds se tordent, sur laquelle ma patience s'épuise. Moins que moi, espérons, et mes principes tiendront bon.

Le Loup de février

Samedi 16 mars 2024 à 22:43

Je ne dors pas avec toi pendant 5 minutes.

Il l'a répété deux fois, devant le cinquième film d'horreur de la soirée.

Il le répète, mais non.
Rare que je m'accorde un peu. Même quand lui s'autorise, à mes côtés seulement.
Il me parle, parfois non et parfois plus.
Puis il s'allonge, retire ses lunettes et s'endort sur l'instant.
La chute est soudaine ; l'abandon, brutal. 
Fascinant, cette facilité à tomber d'un coup, en plein combat.
Epuisé ou détendu, je ne sais jamais. Et je ne demande pas.

Il se repose, pas moi.
C'est bien comme ça.

De l'autre bout de l'oreiller vert velours, je le regarde. Lui, ses paupières comme des oiseaux posés et sa respiration de plomb tournées vers moi.

Je ne dors pas avec toi pendant 5 minutes. Après, je vais fumer une clope.

Une façon de se rassurer.
Ou l'alcool a fait son boulot.
A une époque, Loup enchaînait deux bouteilles de Jack et vingt cachets de Xanax.
Peu de pilules pour un aussi mauvais whisky.

Je l'observe dans le silence, sans admiration ni tendresse. On ne se comprend pas vraiment mais on se comprend plus que trop de gens. Dans sa tête aussi, c'est un grand feu, un géant flou. Comme chez moi, ça finit en sang. Comme chez moi, tout brûle partout.
On ne s'aide pas, on ne s'aime pas, on s'écoute à peine. Mais on se tait et on reste, soucieux de ce petit espace qui le protège de moi et me protège de lui.
Entre nous, deux rives, deux mondes, des rails mais qu'on ne se rejoigne pas. Qu'on se tienne là, chacun de son côté, si fiers, bien froids.

Un jour, Loup a saisi mes doigts.
Et ce n'est pas dans nos rituels, tu vois.

Nous, on ne fait pas ça.

Pourtant, je n'ai pas parlé.
Mais j'ai serré.

On est restés dans le canapé, longtemps.
Je n'ai pas compté.

Puis j'ai eu un rire bref, droit devant.

Loup a demandé : "Quoi ?", comme si ça comptait.
J'ai répondu vers le plafond : "Rien. On est tellement foutus."

Et Loup savait.

Sa main se repose, maintenant.
La même, toujours sur la mienne, sa paume tapisse mon poignet droit. Parce que Loup m'enlace, me réclame toujours quand il ne le sait pas. Et je lui laisse, je 
donne le droit.

Il se plaint de mes seins, ronds et imposants sous sa tête, devenu avion atterri. Sans même se demander ce qu'il foutait là, dans mes bras.
Syliam me dit souvent qu'elle le trouve bien avec moi.
"Bien".
Je connais mal. Où le trouve-t-il dans tout ce moi ? mais je souris, je n'empêche pas.

On se rejoint souvent ainsi, avant les pépiements de l'aube. Nos deux torses se font face, au-dessus de notre grand creux. 
Une cérémonie de bêtes blessées, de frères féroces. On mène nos guerres dans nos propres contrées. Au fond, le film aboie et on n'écoute plus, on ne le finira pas, on le verra d'autres fois et demi dans le bleu noir d'autres nuits. 

On ne se cherche pas, on se sait là, loin de nous comme on est loin de tout. 

Lui fatigue et chaque fois, je guette, éclaireur averti : son sommeil est en chemin, il ne tardera pas.

Puis les pas du lendemain, qui remet nos choses où il faut. La fenêtre est refermée.
 On se redresse, on se sépare. Et on reprend. Syliam revient dans le salon, on redevient trois. Je me lève pour elle, Loup baille, s'étire, se plaint de son dos.

Soudain, c'est doux de nouveau.

Loup et moi, on se dit au revoir sans se le dire, dans le chaud du café.
Je ne sais pas quand, je ne sais pas jusqu'à quand.
On sait juste qu'on gardera le gouffre au même endroit.

En attendant.

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